Blog « Les voies du conte » Portrait

Stéphane Kneubuhler et Martin Hubert, frères de contes

Les deux artistes ont été lauréats de l’édition 2020 des Journées Printa’Nied, rencontres professionnelles du conte en Grand Est, organisées par la structure Nittachowa.

En Moselle, les mots ailés musellent les maux zélés de la misère. Vous l’aurez compris, dans le Grand Est, les conteurs sont des haut-parleurs, et s’ils sont aussi actifs, c’est notamment grâce à la structure Nittachowa. C’est dans le cadre des résidences de son tremplin interrégional du conte en Grand Est, baptisé « Au Bout du Conte », que j’ai rencontré le talent bondissant de Stéphane Kneubuhler et de Martin Hubert. Pour le printemps, laissons donc éclore un double portrait, car si on peut séparer le jaune de son blanc, on ne sépare pas le yang de son yin.

Frères de larmes qu’elles soient de joie ou de tristesse, Stéphane Kneubuhler et Martin Hubert, accompagné de son guitariste Nicolas Cadiou, ont été les lauréats de l’édition 2020 des Journées Printa’Nied, rencontres professionnelles du conte en Grand Est, également organisées par Nittachowa. Tisseurs de mots fiers de leurs racines, les deux conteurs sont des rêveurs professionnels à l’univers reconnaissable entre tous. La douce poésie de Stéphane complète l’humour virevoltant de Martin comme le jour colore la nuit, même s’ils aiment se retrouver entre chien et loup pour faire vibrer les histoires.

 

Originaire de Lunéville (Meurthe-et-Moselle), Stéphane Kneubuhler, dit le « Colporteur de rêves », a d’abord intégré le monde du théâtre grâce à la compagnie Le Théâtre de l’Escalier avant de rencontrer Michel Hindenoch au début des années 2000, une rencontre qui a marqué un tournant dans sa vie artistique. C’est avec ce dernier, en effet, qu’il a découvert la profondeur de la parole du conte, une parole « si forte qu’elle a pu traverser les âges ». S’il reconnaît que l’apprentissage commence par l’imitation, Stéphane Kneubuhler a su développer un style artistique singulier.

Conteur de peu de mots au vocabulaire pourtant soigné, il fait défiler les images avec une rare fluidité. Il n’a pas besoin de bouger pour occuper l’espace, sa présence s’impose comme ses récits, limpidement, simplement, inéluctablement. Mais ce qui le distingue surtout est son usage de la voix, il en joue comme l’on jouerait du violon, modulant chaque intonation avec précision pour donner un poids à chaque mot. Il ne cache pas son désir de renouer avec les récits des temps d’avant. Maillon dans la chaîne de la transmission, on trouve dans ses histoires de nombreux mythes de fondations du monde qu’il sait actualiser avec son timbre à la puissante fragilité.

Humour politique et musiques minimalistes

Electron libérateur aux verbes bondissants, Martin Hubert est un conteur vrai, brut diront certains, avant de reconnaître son talent. Ancien animateur nature qui n’a jamais eu sa langue dans sa poche, il a fini il y a cinq ans par mettre sa verve au service de l’oralité tout en restant proche de sa terre comme de la Terre. Son univers est bigarré par ses multiples racines culturelles, ancien membre d’un groupe de reggae, fan de bande dessinée et de westerns, dévoreur de poésie classique, slameur vétéran, Martin Hubert joue des mots en se jouant des conventions.

Le conteur Martin Hubert | DR

Ses contes sont marqués par un humour parfois trash, souvent burlesque, définitivement poétique, nécessairement politique, peignant à l’acide caustique une société de consommation qui a plastifié le monde des vivants. Martin espère reconnecter les gens à la Terre par ses récits, et ses contées sont de beaux moments de convivialité. Néanmoins, les mondes du slameur d’histoires sont aussi gagnés par une sincère mélancolie, voire une profonde nostalgie, c’est avec une voix cassée et un œil humide qu’il dépeint les vestiges d’un temps qui nous échappe.

Enfin, l’univers de Martin Hubert s’éclaire par la musique de Nicolas Cadiou. Ami de longue date, le multi-instrumentiste donne toute leur tonalité aux tableaux du conteur grâce à des thèmes musicaux, jamais envahissants mais toujours évocateurs. Il admet qu’il aime travailler sur des musiques minimalistes où peu d’accords donnent à voir beaucoup, ce qui aboutit à des partitions entêtantes presque chamaniques s’harmonisant avec les partitions vocales de Martin Hubert, donnant à voir une touchante complémentarité sur scène.

Ces trois artistes ont conservé un souvenir fort de leur rencontre avec Michel Hindenoch rendue possible par le dispositif de Nittachowa, « Au Bout du Conte ». Si Stéphane Kneubuhler avait déjà pu travailler auparavant avec l’auteur de Conter, un art ? (Les Editions du Jardin des mots, 1997, réédité en 2012), il reconnaît humblement que cette résidence lui a permis de renouer avec « l’esprit du conte » et de se réaccorder avec les images du récit pour les rendre plus sensibles encore. Martin Hubert et Nicolas Cadiou, quant à eux, ont été marqués par l’approche de Michel Hindenoch qui va à contre-courant des pratiques plus spectaculaires du théâtre contemporain. Ce dernier apprend à dépouiller les récits du superflu et à se rendre maître du rythme de l’histoire.

Et pour demain, Stéphane Kneubuhler rêve de poser sa voix sur son prochain spectacle Cœur d’ours, récits sauvages, et Martin Hubert songe à son interprétation alsacienne du mythe de Frankenstein.

Après s'être formé à l'art du conte, Julian Delgrange, dit Draglen, crée en 2020 l'association Les Conteurs de Thot pour offrir un espace d'échange aux jeunes plumes voulant se lancer dans les arts de l'imaginaire.

Écrire un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.