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Marcel Nu

Ils sont culottés et c’est terriblement réussi ! C’est cela que j’aime chez Frédéric Naud et Jeanne Videau, complices depuis plus de 15 ans sur scène, l’engagement, la folie et l’intelligence.

Ils présentent « Marcel Nu », l’époustouflante histoire d’un homme confronté au handicap qui se bat pour le droit à la sexualité pour toutes les personnes en situation de handicap. En faisant passer le spectateur dans quatre espaces de récit différents, le spectacle aborde le thème par des entrées et donc des questions tout à la fois universelles et contemporaines. Les dieux festoient dans un monde au-dessus, un tripot où règnent lubricité, mensonges, jeux de pouvoir et une roulette, soi-disant pour prédire la destinée des humains. L’Olympe s’amuse, les religions ont des réponses bien fades. Les anges, bienveillants ou démoniaques se démènent, mais Cupidon est fatigué.

Tour à tour narrateur ou incarnant les personnages, Frédéric Naud nous raconte la vie de Marcel nu et de sa femme Jill, avec, en intermède, des poèmes de Marcel scandés par Jeanne Videau. Les nappes, les sons et cette voix si particulière créent des ambiances terrifiantes, frénétiques, enjôleuses et magiques. Un univers sonore qui rythme le spectacle de manière envoûtante. Merci aux belles compositions sonores de Chloé Lacan.

Marcel est rescapé d’une maladie génétique rare qu’il contracte dès l’enfance, suivie de mauvais traitements médicaux. Il fait un choix : sachant qu’il ne peut bouger que ses yeux, sa bouche, deux doigts et son sexe, il décide de vivre l’amour, d’écrire de la poésie, de créer sa vie, avec cet adage offert par Cupidon à sa naissance : « Celui qui ose, vaincra », parce qu’il ne peut rien faire de plus face à Azraël qui lui a promis un linceul.
Il vient de faire publier un livre intitulé « Je veux faire l’amour » et se trouve invité avec sa femme Jill dans une émission TV grand public intitulée « Bye Bye tristesse », face au présentateur Victor Branck qui, ébahi par la beauté de Jill face à l’incroyable corps de Marcel, ne sait réagir qu’avec sa queue, les paillettes, le champagne…

Nous sommes captivés par le déchaînement des personnages à travers ce plateau TV et sa cohorte de commentaires, ce présentateur sûr de son sex-appeal, pendant qu’en parallèle, Josiane, aide-soignante dans une institution, modère, à la limite de la bienveillance, les personnes en situation de handicap, attentive pourtant, sans vouloir véritablement se laisser déborder par les attentes de chacun.

Quand le narrateur aborde la destinée de Jill, elle dit oui à tout ce qu’Azraël lui promet de sale, de moche, de triste pour sauver Cupidon qui lui a prédit qu’elle sera une princesse. C’est un bijou dans le récit. Innocence contre malveillance. Comme un viol par les mots.

Il y a dans ce spectacle, plusieurs niveaux de lecture, pour appréhender ces questions et de manière juste, sensible, cocasse, drôle et démesurée, le liant opère. Frédéric Naud, dans le parfait présentateur, les réponses de Marcel, dans un souffle, Jeanne, dans sa multitude de personnages à interpréter, passant des chants aux cris, aux halètements, au souffle, au bruitage…, sachant avec une simple paire de lunettes, un bandeau, un boa, une cape rose se métamorphoser, en Josianne, Jill, Julie. Une performance impressionnante.
L’emboîtement des histoires permet d’être au plus proche du sensible et de l’impériosité du désir, comme Julie l’exprime ; « Je veux faire l’amour, je suis mariée depuis dix ans, mais j’ai besoin d’un accompagnant », scène magnifique, portée par Jeanne.
Les accompagnants, comme Marcel et Jill qui ont fondé une association, sont encore considérés comme proxénètes aujourd’hui dans notre société, même sans rétribution.
Une montée d’adrénaline s’opère, comme le voulait Marcel et Jill. Pendant que le sexe de Victor Brank va voir ailleurs, toutes et tous sont percés d’une flèche de Cupidon et le monde se déchaîne dans le plaisir. Les dieux ne peuvent que regarder, sans pouvoir intervenir, sans pouvoir participer, assis sur les projecteurs du studio.

Non seulement, ce spectacle est indispensable aujourd’hui pour faire entendre des causes inconnues de beaucoup, mais il est dans son propos et son interprétation, un engagement poétique et artistique lumineux, un élan vital ou l’on pleure et l’on rit, sans fausse mesure, sans faux semblants.

« Marcel Nu » est une formidable fresque mettant en lumière ce qui est caché, enveloppé dans les nimbes des codes religieux, des codes de la moralité, du paraître et des stéréotypes. Les costumes, la lumière, la composition sonore et la mise en scène, concourent à la cohérence des histoires qui mêlent la vie de Marcel et de Jill, leur combat, la réalité des personnes en situation de handicap face à la sexualité, l’obstruction des débats publics par les médias.

Bravo à toute l’équipe du spectacle !

Conception et jeu : Jeanne Videau et Frédéric Naud
Auteurs des poèmes : Marcel Nu et Pascal Mary
Auteur du récit : Frédéric Naud
Textes improvisés : Jeanne Videau
Mise en scène : Marie-Charlotte Biais
Compositions sonores : Chloé Lacan
Lumières : Louna Guillot et Thomas Fiancette
Costumes : Elise et Jeanne Videau
Dealeuse d’histoires : Praline Gay-Para

Nouveau site :
https://www.frederic-naud-et-cie.com

Martine Carpentier a dirigé le Centre des Arts du récit de 2014 à 2020.

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