Blog « Les voies du conte » Critique

Au Rigoletto, Céline Ripoll a fait de la soirée de clôture un envoûtant voyage conté, chanté et dansé sur l’île de Pâques

Son spectacle « A l’ombre des moai » a donné vie à plusieurs légendes venues de Rapa Nui, l’archipel le plus isolé de l’océan Pacifique, face à un public nombreux et captivé.

La conteuse Céline Ripoll au Musée Hèbre à Rochefort (Charente-Maritime), le 17 juin 2023 | CÉLINE RIPOLL/FACEBOOK
La conteuse Céline Ripoll au Musée Hèbre à Rochefort (Charente-Maritime), le 17 juin 2023 | CÉLINE RIPOLL/FACEBOOK

Tous ceux et celles qui en ont déjà fait l’expérience vous le diront : écouter Céline Ripoll conter les histoires qu’elle a collectées pendant des années sur l’île de Pâques est quelque chose que l’on n’oublie pas. Pour ma part, je garde un souvenir très précis des deux ou trois occasions au cours desquelles j’ai eu la chance de pouvoir l’entendre : en juin 2016, une visite contée à travers les collections d’Océanie au Musée du quai Branly-Jacques Chirac, à Paris, lors d’un week-end spécial pour fêter les dix ans du lieu ; en octobre 2018, une « causerie littéraire », dans le cadre des Rencontres du Légendaire au château de Maintenon près de Chartres (Eure-et-Loir), consacrée à trois de ses ouvrages nourris de la collecte de récits venus d’Océanie, Contes des sages de Polynésie, Contes des sages de Papouasie-Nouvelle-Guinée et Contes des sages aborigènes, parus au Seuil ; et enfin, en novembre 2019, lors d’une soirée-spectacle « Contes et Rencont’es » à la BAM ! (Bibliothèque associative de Malakoff).

Rien d’étonnant, dans ces conditions, à ce que la petite salle en sous-sol du café-théâtre Le Rigoletto (Paris 19e) ait fait le plein de spectateurs, mardi 20 juin, pour A l’ombre des moai, l’un des nombreux récits que Céline Ripoll possède dans son répertoire de « conteuse du Pacifique » ou de « passeuse d’histoires », selon ses propres termes. Et ce à l’occasion de la soirée de clôture de la programmation mensuelle proposée dans ce lieu par les associations Calliope et Conteurs en compagnie. Après une scène ouverte particulièrement variée et réussie, le public s’est laissé embarquer avec délice sur le dos de la tortuga (« tortue ») pour les eaux turquoise et les rives lointaines de l’île de Pâques, perdue au beau milieu de l’océan Pacifique.

Raconter des histoires avec son corps

Dans ce spectacle, Céline Ripoll mêle habilement plusieurs ingrédients : quelques rappels historiques, notamment sur la découverte de l’île de Pâques par le navigateur hollandais Jakob Roggeveen, en avril 1722, le dimanche de Pâques précisément (d’où son nom) ; des légendes issues de la tradition orale des Rapa Nui, qu’elle a patiemment collectées auprès des anciens au cours de ses nombreux séjours sur l’île (elle y a vécu avec ses filles pendant une dizaine d’années et y retourne régulièrement) ; des chants et des danses traditionnels qu’elle accompagne au son d’une mandibule de cheval (l’un des instruments locaux) ; quelques bribes de récit de vie, notamment sur l’incroyable périple, à la recherche de l’histoire oubliée d’un guerrier au visage tatoué, qui l’a conduite à s’installer sur l’île de Pâques, à y rencontrer son compagnon et à y fonder une famille.

J’y ai retrouvé avec un immense plaisir tout ce que j’avais déjà apprécié chez Céline Ripoll au Quai Branly, au château de Maintenon ou à la BAM ! : l’art de manier, et de marier, parole (à la fois en français et en rapanui, une langue qui a tendance à disparaître car seulement 10 % de la population de l’île de Pâques, âgée de 2 à 25 ans, la parlent de manière courante), chant et danse dans un même élan, de raconter des histoires non seulement avec sa bouche mais aussi avec tout le reste de son corps ; une élégance naturelle avec sa (très) longue chevelure, sa robe fourreau noire et son collier de plumes ; un sens de l’humour et de l’autodérision à toute épreuve ; une foi inébranlable dans la transmission entre générations et dans la puissance quasi mystique de la parole. C’est à travers cette dernière que la conteuse a fait souffler un vent d’originalité au sous-sol du Rigoletto et a transformé, le temps d’une soirée, la petite salle en un archipel peuplé d’esprits, de chefs guerriers tout puissants, de jeunes filles en fleurs, et, bien sûr, de moai, ces statues en pierre monumentales aux visages énigmatiques, à l’ombre desquels s’est tenu le spectacle.

A l’ombre des moai, de et avec Céline Ripoll. Pour les dates des prochaines représentations de ce spectacle à partir de septembre, vous pouvez consulter la rubrique Agenda du site de la conteuse.

Journaliste au Monde.fr depuis 1998, j’ai toujours éprouvé une admiration sans bornes pour ces artistes de la parole que sont les conteurs et conteuses. Après avoir travaillé pendant plusieurs années comme bénévole dans l’organisation de festivals de contes et de théâtre de rue, je me suis lancée en octobre 2013 dans l’aventure d’un blog consacré aux arts du récit, L’Arbre aux contes, qui a fermé définitivement en octobre 2021. Je participe désormais au blog collectif de « La Grande Oreille ».

Écrire un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.