Blog « Les voies du conte » Récit

Rumeurs urbaines, inépuisable vivier d’histoires en tous genres, à travers l’Ile-de-France

Pour sa 23e édition, jusqu’au 29 octobre, le festival du conte et des arts du récit s’affirme plus que jamais comme un lieu de fabrique et de transmission de la parole.

Les zèbres sont à l’honneur sur l’affiche de la 23e édition des Rumeurs urbaines, jusqu’au 29 octobre 2022 | CIE LE TEMPS DE VIVRE

Pendant plusieurs années de suite, j’ai été une spectatrice assidue des événements programmés dans le cadre du festival Rumeurs urbaines créé en 2000 par la compagnie Le Temps de vivre, sous la direction artistique de Rachid Akbal, que j’ai eu l’occasion d’interviewer à de nombreuses occasions pour le blog L’Arbre aux contes, notamment en septembre 2017. Puis la pandémie de Covid-19 et la fermeture de mon blog m’ont éloignée quelque peu de ce rendez-vous marquant de la rentrée pour les amateurs et amatrices de contes. J’ai enfin repris le chemin de ces Rumeurs urbaines pour assister, le temps d’un week-end, les 8 et 9 octobre, à la traditionnelle Nuit du conte à la MJC-Théâtre de Colombes (Hauts-de-Seine) et à un spectacle de Laurent Daycard (La Baleine qui dit « Vagues » à Marseille), Un brin de romarin, au Centre 72 de Bois-Colombes (Hauts-de-Seine).

Animée comme chaque année par Rachid Akbal en maître de cérémonie – qui a parfois aussi endossé son costume de conteur pour narrer quelques histoires savoureuses en guise d’interludes entre les trois parties de la soirée – cette Nuit du conte 2022 a tenu une nouvelle fois ses promesses, samedi 8 octobre, à savoir entraîner le public dans une longue soirée de récits en tous genres, de 19 heures à minuit, entrecoupée par une pause repas pour nourrir aussi les estomacs et pas uniquement les oreilles des spectateurs et spectatrices. Trois conteurs et une conteuse venus d’horizons très différents ont illustré la grande diversité des arts de la parole.

Honneur aux femmes, avec Hélène Palardy, la régionale de l’étape, vivant à Paris, qui a, comme toujours, déployé avec une énergie et une bonne humeur communicatives, son double talent de conteuse et de chanteuse rock. Accompagnée de sa fidèle guitare, elle a proposé plusieurs histoires courtes de sa propre composition, régulièrement entrecoupées de chansons, où la mort et les fantômes rôdaient souvent. Elle a également présenté un extrait de son émouvant spectacle Ô Janis !, consacré à la vie de Janis Joplin (1943-1970), déjà chroniqué sur ce blog.

Venu de Marseille, le conteur Laurent Daycard (directeur artistique de La Baleine qui dit « Vagues », centre de ressources spécialisé dans le conte), peut être présenté comme un barde des temps modernes, qui s’attache à transmettre, par-delà les siècles, des contes et légendes venus de Provence et d’Italie, que l’on écoutait autrefois au coin du feu lors des veillées qui rassemblaient les familles, toutes générations confondues. Il s’accompagne aussi parfois d’un instrument, moins connu que la guitare d’Hélène Palardy, un dulcimer, une cithare datant du Moyen Age, parfois qualifiée de « cornemuse à cordes grattées ».

Invité dans le cadre d’un partenariat avec le Mois Kréyol, festival des langues et des cultures créoles porté depuis 2017 par la compagnie Difé Kako, le conteur Jean l’Océan, originaire de Martinique, a transporté le public dans son univers peuplé de créatures mi-humaines, mi-animales avec plusieurs contes de la Caraïbe, mêlant français et créole. En toute fin de soirée, il a même offert aux valeureux et valeureuses restés jusqu’au bout de la nuit, un grand moment d’émotion en évoquant, les larmes aux yeux, la mémoire des nègres marrons, ces esclaves symboles de la résistance contre l’oppression coloniale, pourchassés et tués en Martinique comme dans toutes les colonies, par les propriétaires des plantations sur lesquelles ils travaillaient.

Le conteur Thalès Zokène, quant à lui, est né à Brazzaville au Congo. Il a créé sa compagnie, le Socle de l’art contemporain (SAC) en 2009, au sein de laquelle il explore théâtre, conte, slam, performance et critique d’art. Installé en France depuis 2021, il fait partie de l’Atelier des artistes en exil. Puisant dans la tradition orale de son pays natal, il a raconté plusieurs histoires transmises de père en fils, en s’accompagnant lui aussi de divers instruments en bois. Hommes et animaux s’y mêlent – allant même parfois jusqu’à parler la même langue – pour vivre des mésaventures riches en rebondissements et en péripéties variées.

Quelle que soit leur source d’inspiration (contes merveilleux, contes traditionnels, légendes populaires, récits de vie, etc.) et quelle que soit leur manière de raconter des histoires (en parlant en français ou dans une autre langue, en chantant ou en faisant reprendre des refrains par le public), les artistes invités à cette Nuit du conte 2022 ont une fois encore apporté la preuve des vertus bénéfiques de la parole symbolique sur un auditoire, même lorsque ce dernier n’est pas forcément habitué à faire une pause et à prendre le temps d’écouter l’autre. La jeune génération, venue souvent en famille et en nombre assister au spectacle, particulièrement agitée en début de soirée au point de transformer salle et scène de la MJC de Colombes en une vaste cour de récréation, a fini par s’assagir (ou pour certain(e)s par s’assoupir) surtout lors de la dernière partie de la représentation transformée en une veillée sur le plateau, avec le public assis par terre sur des coussins ou sur des chaises autour des conteurs et de la conteuse.

Ambiance beaucoup plus paisible – et auditoire plus âgé (et nettement moins dissipé) – pour écouter, dimanche 9 octobre, les contes et légendes venus de Provence et d’Italie que Laurent Daycard a brillamment distillés au rythme de son dulcimer et de son accordéon, entraînant son public dans un univers peuplé de rois et de princesses mais aussi de pauvres paysans bien décidés à surmonter toutes les épreuves pour épouser leur dulcinée. Une plongée dépaysante dans un cadre insolite, celui de la salle paroissiale du Centre 72 fondé et géré par la communauté protestante d’Asnières, Bois-Colombes et Colombes. Un lieu qui favorise indéniablement l’écoute et le partage de la parole.

23e festival Rumeurs urbaines, jusqu’au samedi 29 octobre, dans cinq départements d’Ile-de-France (Paris, Essonne, Hauts-de-Seine, Val-d’Oise et Yvelines).

Pour retrouver toute l’actualité du festival en direct, vous pouvez consulter le compte Facebook de Rumeurs urbaines.

Journaliste au Monde.fr depuis 1998, j’ai toujours éprouvé une admiration sans bornes pour ces artistes de la parole que sont les conteurs et conteuses. Après avoir travaillé pendant plusieurs années comme bénévole dans l’organisation de festivals de contes et de théâtre de rue, je me suis lancée en octobre 2013 dans l’aventure d’un blog consacré aux arts du récit, L’Arbre aux contes, qui a fermé définitivement en octobre 2021. Je participe désormais au blog collectif de « La Grande Oreille ».

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