Leurs spectacles « Ô Janis ! » et « Happy Dreams Hotel » se nourrissent de faits réels, la vie de Janis Joplin et la guerre au Kurdistan, tout en leur donnant une dimension intemporelle.
Malgré leurs nombreuses différences en termes de mise en scène, de style narratif, d’accompagnement musical, les créations d’Hélène Palardy, Ô Janis !, et d’Aram Tastekin, Happy Dreams Hotel, que j’ai pu découvrir à un jour d’intervalle début octobre à La Maison du conte de Chevilly-Larue (Val-de-Marne) et au Théâtre municipal Berthelot Jean-Guerrin à Montreuil (Seine-Saint-Denis), se rejoignent au moins sur un point : ce sont tous deux des récits de vie qui utilisent comme matière première des éléments (auto)biographiques tirés de l’existence soit d’une personnalité comme la chanteuse Janis Joplin (1943-1970), soit du narrateur lui-même (Aram Tastekin, enfant et adolescent né au Kurdistan sous la domination turque).
Si la réalité constitue dans ces deux spectacles un point de départ essentiel, elle n’en est pas pour autant une finalité en soi, elle nourrit certes la trame narrative mais lui permet de s’en détacher pour atteindre une dimension universelle, un caractère exemplaire à l’échelle de l’humanité. On peut y suivre l’histoire tourmentée d’une jeune chanteuse en proie aux affres de la drogue et de l’alcool dans l’Amérique des années 1960 ou celle non moins chaotique d’un jeune garçon confronté à l’injustice de l’occupation étrangère dans une région, le Kurdistan, qui n’a jamais été reconnue comme un Etat à part entière. Mais au-delà de ces récits ancrés dans le réel, se dessinent des destins qui s’affranchissent des époques et des pays dans lesquels ils se déroulent pour prendre une valeur symbolique, quasi mythologique, autour de thèmes comme le racisme, la perte d’identité, la guerre, l’exil…
La musique occupe également une place de choix dans ces deux spectacles. Elle est interprétée en direct sur scène soit par la conteuse elle-même dans le cas d’Hélène Palardy (elle a commencé sa carrière comme chanteuse et guitariste rock, ce qui donne à son récit une puissance musicale hors du commun), soit par un musicien qui accompagne le narrateur dans Happy Dreams Hotel, Neset Kutas (ce percussionniste et professeur de danses traditionnelles d’Anatolie, spécialiste des mélodies kurdes, forme un épatant duo avec Aram Tastekin, dans une parfaite osmose entre paroles et rythmes du Moyen-Orient).
Le débat sur la réelle portée symbolique de tels récits de vie par rapport aux spectacles issus de contes traditionnels reste ouvert. Personnellement, j’ai passé d’excellents moments lors de ces représentations, en me laissant totalement emporter par les voix d’Hélène Palardy et d’Aram Tastekin sur les pas de Janis et d’Aram-Ikram (l’Etat turc lui impose un autre prénom que celui donné par ses parents à sa naissance), tous les deux emblématiques à leur façon de la lutte d’un individu contre une société qui ne reconnaît pas sa singularité et ses différences : une Blanche à la « voix noire » née dans une Amérique encore largement dominée par le racisme et la ségrégation et un jeune garçon dont le pays, le Kurdistan, n’est qu’un « rêve » pour lequel des générations de combattants sont prêtes à mourir.
Ô Janis !, de et avec Hélène Palardy. Avec l’aide d’Anne Marcel et Myriam Pellicane pour la mise en scène, les écritures plateau et vocale. Durée : 1 h 15. Tout public à partir de 14 ans.
Happy Dreams Hotel, écrit et mis en scène par Elie Guillou d’après l’histoire d’Aram Tastekin. Avec Aram Tastekin (récit, jeu) et Neset Kutas (jeu, percussions). Avec la participation de Noémie Régnaut (assistante à la mise en scène), Rachid Akbal (regard extérieur), Coralie Pacreau (lumière) et Cécilia Galli (collaboration artistique). Durée : 1 h 15. Tout public à partir de 12 ans. Prochaines dates : les jeudi 9 et vendredi 10 décembre à 20 heures au Théâtre Antoine Vitez – Scène d’Ivry, 1, rue Simon Dereure, Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne).