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Patrick Crespel et Patrick Garcia, le yin et le yang du conte

Depuis leur rencontre au détour d’une scène ouverte, les deux conteurs sont devenus inséparables et forment le duo des Patrick’s.

Peut-on se lasser d’une histoire ? Oui, parfois. Peut-on se lasser d’un conteur ou d’une conteuse ? Malheureusement, ça peut arriver. Peut-on se lasser du duo des « Patrick’s », comme ils se surnomment eux-mêmes ? Non, jamais. Trop de temps s’est écoulé avant que j’en trouve pour parler de l’un des plus iconiques (et méconnus) couples de conteurs à la scène. Patrick Crespel et Patrick Garcia sont le yin et le yang, le cul et la chemise, le café et le lait, le crémant d’Alsace glacé et le sirop de violette tiède… Ils s’accommodent, se soutiennent, se révèlent l’un l’autre. Pour le résumer en un mot : les Patrick’s sont des conteurs « cool ». Et non, aucun autre adjectif ne pourrait mieux les décrire.

Ils sont « cool » car, avant même d’avoir prononcé une seule parole, les Patrick’s attirent une sympathie naturelle, ils ont le ventre de l’épicurien, la voix des foyers de cheminée l’hiver et le sourire de l’artisan. Car oui, avant toute chose, les Patrick’s aiment conter. Et quand la professionnalisation nous pousse dans nos retranchements, eux ne perdent jamais de vue l’essence originelle de leur discipline, le plaisir de raconter. Plus que tout autre, le conte est un art de l’empathie et les Patrick’s partagent avec leur public la joie d’offrir une histoire. Avec eux, le conte est travailleur mais pas prétentieux : on va les écouter pour retrouver le bonheur simple d’une histoire partagée. S’il fallait choisir un deuxième adjectif pour les décrire, ce serait : « honnête ». Honnête dans leur façon de raconter, d’apprendre, et même d’être.

Patrick Crespel ne cache pas son affection pour l’image du conteur au coin du feu, et indirectement, il est le brillant messager de ce passé oublié. Il ne s’encombre que de sa voix pour conter, avec un timbre de miel qu’on aurait envie de plonger dans son thé. Ce qui ne l’empêche pas de faire de (longs) détours dans des récits obscurs où les trains se vident de leurs âmes et les cercueils disparaissent. Patrick Crespel n’est pas musicien, du tout, pourtant il sait placer sa voix avec une justesse remarquable surtout quand il est accompagné par… Patrick Garcia ! Le monde est bien fait.

En effet, Patrick Garcia, lui, ne laisse jamais ses instruments bien loin. En spectacle, on le trouve presque toujours la cornemuse au bec, la kalimba au bout des doigts et le violon en main, c’est qu’il aime ça, faire valser les personnages, danser les intrigues. Bien sûr, lui aussi ne rechigne pas à réveiller les bêtes féroces de sombres histoires, mais on ne le trouvera jamais plus éclatant que dans les contes traditionnels qu’il sait, tout comme l’autre Patrick, sublimer.

Une incomparable complémentarité

A deux, les Patrick’s content comme un, car, pour eux, « quand on raconte à deux, on se dit que l’autre doit pouvoir raconter l’histoire tout seul », en résulte une incomparable complémentarité dans leurs récits, ils se relaient sans se couper la parole, se font des parties de ping-pong verbal sans ne jamais rien écrire à l’avance. En définitive, ils respectent cette part organique du conte. Les Patrick’s sont « cool », car ils savent s’adapter pour toujours magnifier l’éphémère et font de chaque prestation un souvenir précieux car unique, vraiment unique.

Leur rencontre aussi avait quelque chose d’unique, lorsqu’à une scène ouverte, Patrick Garcia (le violoniste, suivez un peu) a dit : « Je vais vous raconter le Petit Chaperon rouge comme vous ne l’avez jamais entendu » et, après cinq minutes d’un récit bondissant où les grands-mères se font zadistes dans leur cuisine et le vilain loup se calme à tour de clé de douze dans le museau, Patrick Crespel a compris alors qu’il avait trouvé un « frère d’âme ». Et, en effet, si les Patrick respectent profondément la tradition orale, ils ne s’interdisent pas l’expérimentation, bien au contraire. La chevalerie est parodiée, des contes sont murmurés dans le noir, des récits gores ou franchement absurdes se mêlent aux récits enfantins… Encore et toujours, ils s’amusent intelligemment.

Au commencement, Patrick Garcia puise son amour de la parole dans les formations qu’il a animées et surtout dans les reconstitutions médiévales où, en fin d’événement, les troupes se racontent des histoires au coin du feu. Il fait ensuite la rencontre de Martine Mangeon, la fondatrice du collectif de conteurs et conteuses Histoires & Cie, qui lui a donné les clefs de l’art. Patrick Crespel, lui, a tiré parti de son handicap visuel pour apprendre à voir les autres mondes et à les faire voir. Des années après son premier spectacle consacré à son handicap, le guidé est devenu guidant et il conte pour ceux qui sont aveugles face au monde des rêves.

 

Et tous deux, leur art du récit, ils l’ont appris à travers le plaisir de pratiquer et d’apprendre, d’aller chercher « le petit truc » tant auprès des professionnels, notamment à La Maison du conte de Chevilly-Larue (Val-de-Marne) qu’à l’occasion d’échanges cordiaux lors de scènes ouvertes où j’ai eu la chance de croiser leur route.

Histoire d’un collectif

Aujourd’hui, leur flamme ne tarit pas, même s’ils regrettent que le conte soit encore trop souvent associé à un divertissement « pour enfants », eux content avant tout pour les adultes même si les plus jeunes ne se plaignent jamais durant leurs spectacles. Ils refusent cordialement d’endosser le costume clownesque du « conteur éducateur ». D’après eux, « on sème des graines, parfois ça pousse, parfois non, les gens prennent ce qu’ils veulent ». Honnête, une fois de plus.

Les Patrick’s, c’est aussi l’histoire d’un collectif, Histoires & Cie, dont ils sont tous les deux membres, et d’un site Internet, Cabaret contes, sur lequel Patrick Crespel tente de recenser de façon exhaustive les scènes ouvertes et les spectacles de contes à Paris. C’est aussi l’histoire de plusieurs centaines d’heures de contes filmées par Patrick Crespel (pas le violoniste, l’autre) lors des représentations et des scènes ouvertes. Car il aime l’idée qu’il restera ainsi une trace archivée de ces centaines de rencontres éphémères.

Les Patrick’s sont décidément trop « cool », d’humbles artisans qui se sont toujours profondément investis par amour du conte. Un duo dont on ne se lasse pas et dont la scène des arts du récit peut être fière. Et, en attendant la prochaine rencontre, ils terminent de rêver à leur prochain spectacle alors que leur amitié a déjà fait rêver tant de monde.

Après s'être formé à l'art du conte, Julian Delgrange, dit Draglen, crée en 2020 l'association Les Conteurs de Thot pour offrir un espace d'échange aux jeunes plumes voulant se lancer dans les arts de l'imaginaire.

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