Blog « Les voies du conte » Critique

Au Rigoletto, Isabelle Sauvage a conté avec passion les exploits de « La Vaillante des vaillants »

La médecin et thérapeute, devenue artiste de la parole, adapte sur scène un récit issu de la tradition orale roumaine et questionne habilement les rapports hommes-femmes.

Isabelle Sauvage dans « La Vaillante des vaillants » au Rigoletto (Paris 19e), le 21 février 2023 | ASSOCIATION CALLIOPE/FACEBOOK
Isabelle Sauvage dans « La Vaillante des vaillants » au Rigoletto (Paris 19e), le 21 février 2023 | ASSOCIATION CALLIOPE/FACEBOOK

Je n’avais pas réussi à remettre les pieds (et les oreilles) au Rigoletto (Paris 19e) depuis la soirée de rentrée organisée en septembre par les associations Calliope et Conteurs en compagnie pour annoncer la programmation 2022-2023. C’est donc avec grand plaisir que j’ai de nouveau descendu l’étroit escalier qui mène à la petite salle en sous-sol de ce café-théâtre sis au 337, rue de Belleville. Plaisir d’autant plus grand qu’en ce mardi 21 février, l’artiste invitée dans le cadre de ce rendez-vous mensuel dédié aux arts de la parole était la conteuse Isabelle Sauvage, médecin et thérapeute de formation, dont j’ai croisé le chemin pour la première fois, en juillet 2017, à Vendôme (Loir-et-Cher) pendant le festival EPOS proposé par le CLiO (Conservatoire contemporain de littérature orale), disparu depuis. J’avais eu l’occasion de rendre compte d’un de ses précédents spectacles, Les Navigations d’Erik le Rouge, sur le blog L’Arbre aux contes en avril 2018.

Des retrouvailles, donc, avec un lieu et une artiste, placées sous le signe du conte merveilleux car Isabelle Sauvage a, pour cette nouvelle création, choisi d’adapter sur scène un récit, Ileana Simziana et la Vaillante des vaillants, tiré de la tradition orale venue de Roumanie autour d’un personnage central, le prince charmant, baptisé en roumain « Fat Frumos » (de « fat » qui signifie « fils », « enfant » et frumos « beau »). Comme elle l’a précisé elle-même à l’issue de la représentation, elle avait été marquée, dans son enfance, par la lecture de cette histoire dans un recueil, Contes et légendes du pays roumain (Fernand Nathan, 1935, réédité en 1946), fruit d’un travail de collecte et de traduction mené par Bella Nortines, morte en déportation. Pendant des années, elle a tourné autour de cette dernière sans parvenir à s’en emparer totalement et à la raconter comme elle le souhaitait. C’est désormais chose faite, avec brio : en une petite heure, les aventures de cette intrépide Vaillante des vaillants prennent vie grâce aux mots d’Isabelle Sauvage. Avec, en prime, un motif assez original, qui remonte, semble-t-il, à la tradition indienne : une héroïne déguisée en homme pour pouvoir accomplir son destin.

Tous les ingrédients du merveilleux

Dans la variante roumaine, sous les habits de Fat Frumos, se cache la benjamine d’un roi qui n’a eu que trois filles et qui se désespère quand l’empereur lui demande d’envoyer à sa cour pour le servir l’un de ses héritiers. Déguisée en guerrier, la jeune princesse va vivre des aventures qui n’ont rien à envier à celles surmontées par ses homologues masculins : combats en tous genres contre des loups, des lions, des hydres, des dragons et autres monstres sanguinaires ; défis à relever et missions à accomplir sur les ordres de l’empereur pour récupérer divers objets ; et bien sûr une princesse aux cheveux blonds – la Ileana Simziana qui donne son titre à l’histoire – à délivrer des griffes d’un dragon. Le tout accompagné par un cheval magique (prénommé Clair-de-Soleil) doté de la parole et du pouvoir de donner des conseils avisés en toutes circonstances. Inutile de révéler ici le « twist » final en lieu et place du traditionnel « Ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants », sachez juste qu’à l’image de l’ensemble du spectacle d’Isabelle Sauvage, l’humour et le second degré y sont très présents, étroitement mêlés à tous les ingrédients qui font la saveur du conte merveilleux.

Mais au-delà du simple plaisir d’écouter une belle histoire parfaitement narrée par une excellente conteuse qui sait ménager ses effets, faire surgir de magnifiques images et nourrir le suspense, La Vaillante des vaillants invite aussi le public (adulte) à réfléchir sur les questions de sexe, de genre et des rapports entres les hommes et les femmes. Naît-on homme ou femme ou le devient-on ? Y a-t-il une destinée toute tracée propre aux hommes ou aux femmes ? Peut-on vivre une autre existence que celle à laquelle la société nous prédestine ? Autant d’interrogations qui continuent à nous trotter dans la tête bien longtemps après la fin de la représentation au Rigoletto.

Prochain rendez-vous au Rigoletto, 337, rue de Belleville, Paris 19e : Le diable les attend encore, par le collectif Qu’est-ce qu’il dit le pissenlit ? (avec Chantal Denis, Anne-Marie Protat et Cécile Vigouroux), mardi 21 mars à 19 h 30, précédé d’une scène ouverte de 18 h 30 à 19 h 10. Tarif : 14 euros (boisson comprise). Réservation recommandée à conteursencie@association-calliope.fr.

Journaliste au Monde.fr depuis 1998, j’ai toujours éprouvé une admiration sans bornes pour ces artistes de la parole que sont les conteurs et conteuses. Après avoir travaillé pendant plusieurs années comme bénévole dans l’organisation de festivals de contes et de théâtre de rue, je me suis lancée en octobre 2013 dans l’aventure d’un blog consacré aux arts du récit, L’Arbre aux contes, qui a fermé définitivement en octobre 2021. Je participe désormais au blog collectif de « La Grande Oreille ».

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