Blog « Les voies du conte » Critique

« Au-delà(s) », d’Ariane Pawin, une douloureuse mise en mots de la mort

La comédienne et conteuse livre un émouvant journal intime autour du suicide de l’une de ses sœurs et des bouleversements au sein de sa famille.

« Au-delà(s) », de et avec Ariane Pawin | MARIE DOREAU
« Au-delà(s) », de et avec Ariane Pawin | MARIE DOREAU

Comment mettre des mots sur l’indicible, comment dire sur scène la douleur incommensurable causée par la mort d’un être cher, comment parler de la vie qui continue malgré tout ? Autant de questions auxquelles la comédienne et conteuse Ariane Pawin (compagnie La Fausta) tente d’apporter des réponses dans sa nouvelle création Au-delà(s). La première représentation au plateau a été donnée, mercredi 15 février, à la MPAA (Maison des pratiques artistiques amateurs) Broussais (Paris 14e). Contrairement à son précédent spectacle, Une nuit à travers la neige (dont j’avais rendu compte sur le blog L’Arbre aux contes) dans lequel elle adaptait sur les planches une partie du roman de Victor Hugo, L’Homme qui rit (1869), Ariane Pawin a choisi cette fois-ci d’écrire son propre texte, d’employer ses propres mots pour parler d’un événement très personnel : le suicide de sa sœur Laure. Sans sombrer dans le pathos ni dans le voyeurisme, elle parvient à nous faire ressentir au plus près le gouffre, le « trou » comme elle l’appelle, creusé dans son ventre, et dans son existence toute entière, par l’annonce au téléphone de cette mort brutale.

Dans une mise en scène minimaliste, jouant surtout sur des effets de lumière et de son, avec seulement quelques feuilles de papier en guise d’accessoires, Ariane Pawin livre un poignant et douloureux récit des jours qui ont suivi la macabre nouvelle et des conséquences de cette disparition, non seulement pour elle mais aussi pour les autres membres de la famille, ses parents, et le reste de la fratrie. Mêlant humour et poésie, réalité et fiction, souvenirs d’enfance et témoignages, elle relate les différentes étapes de l’après, sans nous en épargner les moments difficiles comme la reconnaissance du corps à la morgue ou la rencontre avec le directeur de l’établissement psychiatrique où vivait sa sœur. Mais souvent le recours à la parole poétique, l’envolée vers le rêve permettent de s’échapper des situations les plus glauques.

Une grande sincérité

Si on est clairement avec Au-delà(s) dans le récit de vie, dans la narration dans sa dimension la plus personnelle, le conte est cependant présent, en particulier à travers des motifs issus de la mythologie tzigane, en particulier l’histoire d’une jeune femme qui devient une porteuse d’âmes : n’ayant pu accomplir le rituel funéraire nécessaire pour permettre à son fiancé disparu d’accéder seul au royaume des morts, elle se met en route pour l’autre monde pour y déposer l’œuf qui contient son âme. Elle doit surmonter de nombreux obstacles avant d’y parvenir. Peut-être que ces deux récits, le journal intime d’Ariane Pawin et l’histoire de la jeune porteuse d’âmes, mériteraient d’être plus entrelacés, plus étroitement imbriqués l’un dans l’autre afin que la parole symbolique se mêle de façon plus directe au récit de vie. Pour l’instant, le conte tzigane, seulement évoqué au tout début du spectacle, vient ensuite clore la représentation, peut-être que des allers-retours plus fréquents entre les deux donneraient plus de force à l’ensemble.

Une chose est sûre : Ariane Pawin fait preuve d’une grande sincérité dans le récit de ce drame intime et au-delà de son expérience personnelle, elle met des mots souvent justes et émouvants sur la façon dont on surmonte une telle épreuve et sur comment on continue à vivre avec nos morts et les souvenirs qu’ils nous laissent pour toujours.

Au-delà(s), de et avec Ariane Pawin (compagnie La Fausta). Mise en scène : Sylvie Faivre ; création sonore : Alban Guillemot et Adrien Bolko ; création lumière : Eric Julou ; création costume : Aude Désigaux ; accompagnement à l’écriture : Titus (Thierry Faucher) et Gigi Bigot. La Maison du conte, 8, rue Albert Thuret, Chevilly-Larue (Val-de-Marne), mardi 21 mars à 14 h 30 (scolaire) et mercredi 22 mars à 19 h 30.

Programmation autour du spectacle : « Café mortel. Et si on se parlait de la mort ? » animé par Noémie Robert, conteuse et célébrante de funérailles civiles, vendredi 24 mars, de 19 heures à 22 heures, et atelier conte avec Ariane Pawin, samedi 25 mars, de 10 heures à 18 heures.

« Au-delà(s) », de et avec Ariane Pawin | MARIE DOREAU
« Au-delà(s) », de et avec Ariane Pawin | MARIE DOREAU

Le spectacle Au-delà(s) s’inscrit également dans le cadre d’un programme d’ateliers baptisé « Focus Ratatosk ou la Brigade du conte » proposé sur l’année 2023 par la MPAA (Maison des pratiques artistiques amateurs) sur l’ensemble de ses cinq sites. Ariane Pawin anime, de février à juin, 30 heures d’atelier sur le thème « Sur les traces de Broussais ». D’autres ateliers sont également encadrés par Abbi Patrix et Florence Desnouveaux ou Clara Guenoun.

Une vidéo enregistrée lors d’une sortie de résidence au Théâtre Le Hublot à Colombes (Hauts-de-Seine), en juin 2022, est disponible en ligne sur le site Vimeo.

Journaliste au Monde.fr depuis 1998, j’ai toujours éprouvé une admiration sans bornes pour ces artistes de la parole que sont les conteurs et conteuses. Après avoir travaillé pendant plusieurs années comme bénévole dans l’organisation de festivals de contes et de théâtre de rue, je me suis lancée en octobre 2013 dans l’aventure d’un blog consacré aux arts du récit, L’Arbre aux contes, qui a fermé définitivement en octobre 2021. Je participe désormais au blog collectif de « La Grande Oreille ».

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