Depuis une vingtaine d’années, l’artiste crée des spectacles à partir d’histoires issues du répertoire traditionnel et anime des formations autour des arts du récit.
Ça ne s’invente pas, j’ai découvert le talent de Virginie Komaniecki lors d’une soirée de contes érotiques. Perdue au milieu de prestations timides ou attendues, Virginie ose. Femme libre jusqu’au bout des songes, elle avance avec une parole pétillante de malice, et un propos toujours profond sans être moralisateur. Bref, une fois qu’elle s’invite dans votre rétine, elle n’en ressort qu’après y avoir laissé sa griffe.
La parole de Virginie Komaniecki trouve son origine dans les timbres croisés de Yannick Jaulin et de Muriel Bloch qu’elle écoutait à la radio et sur CD (un temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître). Puis, en 2002, lorsque Jean-Marie Le Pen arrive au second tour de la présidentielle, elle dégaine la culture quand d’autres lèvent les matraques, et elle fonde une troupe dans une commune rurale. Avec la culture comme liant, Virginie souhaite « participer à réinsuffler du légendaire sur le territoire où [elle] vit, afin que les populations d’ici se réapproprient et réinventent leurs propres récits fondateurs. » D’abord proche du théâtre jeune public, elle se lasse de la manutention de décors, et rentre dans le conte « comme dans des pantoufles ». Elle est à l’aise avec cet art, et personne ne se trompe à ce sujet. En 2012, après avoir rencontré Michel Carrère et Kamel Guennoun, elle finit sur le devant de la scène au festival Paroles de conteurs à Vassivière (Creuse et Haute Vienne) dans une soirée en duo avec… Yannick Jaulin. La boucle est bouclée.
Sens du rythme
Tout semble aller si vite, pourtant Virginie Komaniecki est une artiste qui prend son temps. Elle aime étudier de multiples versions d’un conte et se laisser « baigner dans cette jungle ». Le conte comme art du rêve éveillé, peut-on le dire assez ? Elle en est convaincue, de plus, pour elle, c’est avant tout « un art de l’effacement ». Effectivement, elle ne s’encombre plus de décors ou d’accessoires. Forte d’une formation en jazz vocal et en danse, elle sait faire résonner ses syllabes, mais surtout elle sait manier le silence comme un violoniste son archet. Jamais soporifique, la conteuse a le sens du rythme, pas étonnant de trouver parmi ses muses les musiciens Nick Cave, Leonard Cohen et Paco Ibanez.
Mais plus que tout, ce qui marque chez Virginie Komaniecki, c’est une douce force de caractère. Elle n’a pas peur de parler du monde, d’en parler réellement. Elle se souvient en souriant : « On m’a souvent réclamé de venir faire du conte politique ou écologique… Je m’y refuse chaque fois en expliquant que le conte l’est par essence. » Et Virginie ose encore parler de la vieillesse, de l’homosexualité, de la mort, sans jamais en faire un fond de commerce ou un cheval de bataille. Simplement pour parler de sujets qui importent et qu’on élude, par peur, pudeur, bêtise. D’ailleurs, si le conte ne les évoque pas, qui pourra le faire ? Virginie l’a bien compris, et, résolument nourrie depuis longtemps par la pensée libertaire, elle ose, pose, prose, et élève son public par la voie des rêves.
Et pour demain, Virginie Komaniecki rêve que le conte redevienne ce qu’il est : « un sublime outil pour faire société et émanciper… Et aussi qu’il se mêle de collectif. »