Depuis trente ans, la conteuse et le musicien parcourent la France et d’autres pays avec leur roulotte pour porter l’histoire du peuple rom.
Qu’est-ce qu’un vrai conteur ? Je n’en sais rien, mais avec Armelle et Peppo Audigane, j’ai rencontré des conteurs vrais. Vrais de liberté, touchants de sincérité, des conteurs qui ne portent pas des histoires mais bien une histoire, celle de leur peuple. Sans violence, ils savent ouvrir les yeux et redresser les sourires.
Les pieds profondément ancrés dans le sol, Armelle Audigane se laisse porter par les histoires, elle ondule comme un roseau bercé par le vent. La dame rayonne, disons-le clairement, son timbre est chaleureux et voile à peine un esprit joueur. Elle conte la réalité des Roms, elle ne nie ni les larmes ni le mépris, mais jamais elle ne sombre dans un misérabilisme poisseux. Et, c’est avec sincérité et humilité qu’elle parle de ces derniers, son message est simple : « N’ayez pas peur. » Ses histoires sont dépourvues de haine, mais pas de malice.
En définitive, Armelle appelle à la réconciliation, elle se moque des moqueries et console la tristesse. Elle le dit ouvertement : « On préfère mettre en avant ce qui nous rassemble que ce qui nous divise. » Petite, c’était une bavarde solitaire qui aimait mettre des mots sur les choses, elle se voyait faire du cirque ou du théâtre avant de se mettre au service du conte qui lui a offert une plus belle liberté. La conteuse aime créer un instant présent, un moment de communion avec le public, et elle y parvient, mue par une formidable bienveillance.
Âmes sincères
Sur scène, elle s’accorde avec Peppo Audigane, son musicien (et fiancé) depuis trente ans, qui l’accompagne à la flûte, à la guitare et à l’accordéon. Il s’autorise même quelques répliques pour souligner un effet comique. Tantôt en toile de fond, tantôt en guise de bruitage, sa musique prend différentes formes sans faute de transitions. Elle ne se tait jamais, ou presque, et le duo nous donne à voir un dialogue entre conte et musique d’un remarquable équilibre. Pour Peppo, la musique est un amour de jeunesse : découverte à 9, jouée sur scène à 17, elle devient son gagne-pain dès 22 ans. Peppo est un autodidacte jusqu’au bout des moustaches, il a appris en jouant plusieurs instruments, mais pas à l’école, même s’il remercie le guitariste, chanteur et compositeur Pedro Aledo de lui avoir donné quelques clefs de l’art.
Pour Peppo, « une fausse note, c’est relatif, ça dépend toujours du contexte », il aime à s’adapter et préfère lire une partition avec ses oreilles plutôt qu’avec ses yeux. C’est ainsi qu’il a retranscrit des chants polyphoniques à la cornemuse, une composition que l’on retrouve dans le film de Jean-Pierre Jeunet, Un long dimanche de fiançailles (2004), excusez du peu ! Il s’amuse humblement de son brio, il se moque des conventions, la seule chose qui l’ennuie, c’est la redondance, voilà pourquoi la structure musicale et narrative n’est jamais fixe. En répétition, le couple aime se rappeler à l’ordre quand l’un joue trop souvent les mêmes notes ou quand l’autre reprend trop souvent les mêmes mots, le but de leurs spectacles n’a jamais été d’ennuyer le public.
Leur histoire est surtout celle d’un long voyage d’une trentaine d’années ensemble. Armelle Audigane a d’abord narré des récits de la Méditerranée sans trop oser parler de ses origines roms, jusqu’à ce que le conteur et écrivain Henri Gougaud lui dise de raconter avec ses racines. Il lui a alors fallu faire un long parcours initiatique en roulotte, aller de structure en structure, rencontrer les familles roms, écouter, parler, comprendre, partager, avec la résilience pour maître mot. C’est un monde entier que le couple porte dans ses spectacles, et c’est avec la sagesse de deux âmes sincères qui ont beaucoup voyagé qu’ils nous les confient.