Catherine Pierloz, conteuse belge, amoureuse du merveilleux, a présenté trois spectacles au festival La cour des contes début mai à Plan-Les-Ouates en Suisse, près de Genève : « Cassandre, Ma grand-mère avait des doigts de sorcière » et sa nouvelle création « Miroir ô ». J’ai voulu écrire sur cette magnifique conteuse, drapée de mystère et de poésie, rencontrée déjà au Festival Interculturel du conte de Montréal, grâce à Stéphanie Bénéteau, sa directrice artistique.
Son introduction aux récits qu’elle choisit de nous présenter est toujours surprenante Ancrée dans une première interrogation, elle se raconte dans une situation réelle en décrivant ce qui l’entoure, avec une voix parlée, chantée, égrenant ses petites mélodies sur sa guitare et propulsant des sons d’une voix tantôt enveloppante, tantôt puissante, d’une grande sensualité. Puis, elle bascule ailleurs. L’ici et là-bas se touchent, le temps ne devient plus qu’un.
Dans ses trois spectacles, elle sait moduler, faire résonner autrement les mots, les sons, les cordes, dans un rythme ajusté. Son choix d’être dans les histoires, d’être sujet de ce qu’elle nous fait voir, remonte à son travail artistique, comme un questionnement philosophique et poétique permanent.
Ce qui est extraordinaire dans la parole contée de Catherine est que l’on se sent juste à côté d’elle, comme avec une amie. Les images sont puissantes : on voit clairement la guerre, les armes, les espaces, les autres, la grand-mère, les puissants, tous les motifs des contes… La langue est follement belle.
Cassandre
De la parole ?
Elle s’est refusée à Apollon et son don de prophétie a sombré dans l’impossibilité de se faire entendre.
Il y a Cassandre, une petite fille dans un bus à qui son père demande de se taire et Catherine, à côté, se réfugiant dans la lecture de l’Iliade où elle rencontre Cassandre pour s’extraire d’autres figures du quotidien. Elle se tient là et tout à coup, suit Cassandre aux confins de la ville de Troie, des siècles en arrière. De femme à femme, un lien se tisse et nous emporte vers les cris d’hommes, les silences, les chevaux, le marché, la citadelle, la foule, les rois, les prêtres, la plainte du vent… Quand Cassandre et Parîs quittent le palais sur des chevaux interdits et que les dieux dans une cohorte noire les séparent, l’un vers la montagne et l’autre vers la mer, Cassandre est confrontée à la déesse Hécate. Les images deviennent de plus en plus terrifiantes. Sous le joug de la déesse, elle est entraînée par Python dans les profondeurs de la nuit. Avant de revenir transformés auprès de leurs parents, Priam et Hécube, Parîs raconte sa rencontre avec les trois plus grandes déesses et il sourit ; Cassandre, elle, est sombre, le dos voûté, elle crie.
La magicienne Hittite a parlé, ils ont été touchés par les dieux, ils ne peuvent plus rester. Mais Hittite offre à Cassandre, au-delà du fait de passer quelques mois dans le village des femmes, folles, la possibilité de partir vers le royaume d’Apollon, pour ne pas se consumer de l’intérieur. C’est là, où son destin bascule, un grand loup, une lumière, des mots… Elle refuse de se donner au Dieu et perd toute capacité de changer le cours du destin.
Catherine Pierloz nous saisit de beauté quand elle soulève les pans de cette histoire d’hier et d’aujourd’hui. Elle porte haut et fort la figure de Cassandre, insufflant la plus humaine des paroles, inaudibles, dessinant des émotions intenses. Elle choisit de crier le redoutable message contre la femme si belle que Parîs ramène de Grèce, dans une répétition scandée : « la rentre pas, elle, c’est pas une femme, c’est un cheval… », d’une voix alarmante et tellement émouvante, mais personne ne l’entend…
Cet absolu que porte Cassandre, la conteuse nous le dévoile.
Les évènements peuvent ils être évités, comment ne pas se taire, comment être entendues pour ne pas faire toujours les mêmes erreurs égotiques et désastreuses ? Prendre la main de Cassandre, c’est remonter aux enfers, jusqu’à notre enfance, à nos peurs.
L’histoire de Cassandre est encore celle des femmes d’aujourd’hui et le prolongement de la guerre : l’horreur, la mort, le viol. Quand Catherine inscrit son récit dans une parabole de la réalité, le vainqueur et le vaincu prennent des allures quotidiennes. Nous sommes toutes et tous vainqueurs ou vaincus, de petites morts en grandes morts.
Et, nous pleurons quand Cassandre et Catherine se quittent, chacune vers son destin. Les images d’enfant qui attendent l’heure de la rencontre aux frontières invisibles surgissent. La spirale se termine doucement, comme une invitation à explorer nos cœurs, nos fragilités, nos choix, nos défaites …, amenant les prémisses d’une nouvelle histoire.
Création & interprétation : Catherine Pierloz
Regards extérieurs : Nadine Walsh & Bruno De la Salle
Compagnonnage artistique : Emmanuel De Loeul
Avec le soutien de l’Union Régionale des Foyers Ruraux du Poitou-Charentes et de son Pôleculturel régional des arts de la parole et des écritures contemporaines.
Coproducteur : Union Régionale des Foyers Ruraux du Poitou-Charentes