Après Macbeth, puis Juliette et Roméo, la comédienne achève sa trilogie shakespearienne en narrant à sa manière (très personnelle) les mésaventures du roi Lear.
Imaginez que William Shakespeare ait eu une messagère prénommée Alouette, dotée d’une trompette et d’un fidèle destrier, à qui il confie la lourde mission de raconter l’histoire du roi Lear sur scène. Tel est le point de départ de l’interprétation très personnelle de l’œuvre shakespearienne à laquelle la comédienne et conteuse Jeanne Ferron convie le public avec Le Roi Lear, drame joyeux, présenté dimanche 15 janvier à l’occasion du 41e Festival Contes d’hiver au Mandapa (Paris 13e). Dans ce dernier volet d’une trilogie consacrée au dramaturge britannique, après L’Histoire de Macbeth, roi d’Ecosse et L’Histoire de Juliette et de son Roméo (spectacle dont j’avais rendu compte sur mon blog L’Arbre aux contes en février 2020), elle reprend le même procédé, à savoir se placer dans la peau d’un personnage de second plan pour faire le récit des (més)aventures des principaux protagonistes de la tragédie (que ce personnage existe ou non d’ailleurs dans le texte d’origine signé Shakespeare), qu’il s’agisse des trois sorcières ou du portier dans Macbeth, ou de la nourrice de Juliette.
Ce regard décalé porté sur des histoires qui comptent parmi les plus célèbres de la littérature mondiale, déjà maintes fois adaptées au théâtre ou au cinéma, constitue l’un des points forts du travail de Jeanne Ferron. S’y ajoutent une énergie à toute épreuve (bien nécessaire pour résumer en une heure et quart les multiples intrigues imbriquées dans la tragédie shakespearienne) et un indéniable talent pour camper toute une galerie de personnages, du roi Lear à ses trois filles, Goneril, Régane et Cordélia, en passant par le fou du roi ou le comte de Gloucester, avec ses deux fils, Edgar le légitime et Edmond le bâtard. Avec, en prime, ce petit grain de folie douce qui caractérise le jeu de Jeanne Ferron et représente en quelque sorte sa marque de fabrique. Toujours en équilibre entre les rires d’un humour parfois grinçant et les larmes d’une émotion à fleur de peau, la comédienne touche souvent droit au cœur.
Universalité des histoires
Une fois encore, après celles de Macbeth et du couple Juliette-Roméo, Jeanne Ferron parvient à faire ressortir l’universalité des histoires contées par William Shakespeare, ici l’éternelle question des rapports entre un père et ses filles autour des notions d’héritage, d’amour filial et de rivalités entre sœurs. Avec, en toile de fond, la passion du pouvoir qui anime chacun des protagonistes du récit, et qui les conduit presque tous à une fin tragique. Comme le souligne non sans ironie la messagère Alouette à un moment du spectacle, « ça fait beaucoup de morts ». A intervalles réguliers, elle interpelle ainsi William Shakespeare pour lui faire des remarques sur le déroulement de l’histoire et ses rebondissements narratifs. Elle noue également des liens de complicité avec le public, s’adressant directement à lui pour le forcer à réagir.
Un seul regret peut-être : que la programmation de ce dernier volet de la trilogie shakespearienne de Jeanne Ferron dans le cadre du Festival Contes d’hiver au Mandapa n’ait pas été l’occasion de permettre au public de découvrir aussi les deux précédents spectacles, dans une sorte de rétrospective de ce Shakespeare revu et corrigé version Ferron. Mais, en échange, plein d’autres artistes de talent sont à l’affiche de cette 41e édition qui dure jusqu’au samedi 18 février, avec une clôture en apothéose qui prendra la forme d’une Nuit des Mille et Une Nuits, de 21 heures à 7 heures du matin, placée sous l’égide du conteur Pascal Quéré.
Festival Contes d’hiver, 41e édition, jusqu’au 18 février. Le Mandapa. Une petite scène sur la Bièvre, 6, rue Wurtz, Paris 13e.