Catherine Pierloz, conteuse belge, amoureuse du merveilleux, a présenté trois spectacles au festival La cour des contes début mai à Plan-Les-Ouates en Suisse, près de Genève : « Cassandre, Ma grand-mère avait des doigts de sorcière » et sa nouvelle création « Miroir ô ».
De l’envie ?
Catherine Pierloz nous a offert un autre récit intitulé « Miroir ô». On y retrouve son affinité avec les grands espaces, le ciel, la forêt, le minéral, le merveilleux : Là les manants qui partent en groupe vers le château ; Là, les vautours qui tournoient près du palais, au dessus de la forêt ; Là, la cloche qui sonne.
La reine est allongée, pâle sur son lit. Avant de mourir, elle demande à sa fille, Blanche qu’après sa mort, son corps soit livré aux vautours. «Les os blancs, les os blancs, blancs comme neige, blancs comme toi ma fille». Héritage impossible.
La suite, on la connaît, non, pas comme Catherine a envie de nous la conter, du côté de la mort, du regard des morts sur les vivants. Les os blancs sont phosphorescents et sur le bûcher, un miroir, très vite caché par le roi au fin fond du palais, perdu, comme inconnu.
Le roi devient fou, il comble les vides par de l’ordre et de la clarté dans le royaume ; sa fille, orpheline, se perd, infiniment seule, marche dans le palais et découvre le miroir qui lui renvoie un visage, mais quel visage ? Un visage au sourire timide ? Qui ? Quand ?
Nouveau mariage, la nouvelle reine ressemble à la précédente. Elle se veut somptueusement belle.
Catherine Pierloz sublime les créatures du conte, par de belles postures corporelles, des rebondissements troublants. Il y a le chemin que l’on prend, la solitude et les êtres qui vous protègent, d’une manière surprenante, de manière inspirante jusqu’au dénouement, les volets, la présence et l’absence, le vide du miroir. Passage de la vie, passage de la mort. États, émotions vibrantes, on revisite et l’on s’étonne de la pertinence d’un conte traditionnel qui nous percute aujourd’hui, dès lors que l’on se laisse emporter par cet élan vital que nous propose la conteuse.
La reine a vu Blanche dans le miroir, mais, pour elle, ne restait que lumière et ombre. Le miroir répond en disant « le somptueux est dans le cœur d’une autre, d’une autre ». Les chasseurs ramènent des cœurs, des cœurs, des cœurs, d’animaux, de femmes… Tandis que la reine prend du pouvoir, le palais s’agrandit, la reine veut faire de Blanche, sa chose, elle veut l’absorber. C’est un combat infernal entre deux femmes qui enfle, s’étire, les pas qui s’agitent, le père qui veut tuer sa fille, la fuite, le long exode de Blanche qui traverse le miroir. L’envie de ne pas mourir. La mort pourtant qui surgit par le doigt crochu de la marâtre.
Blanche nous devient si proche, qu’elle amène au besoin d’une libération; le père enfin trouve la force de protéger et libérer sa fille.
Que faisons-nous de nos enfants ? Qui disparaît derrière le miroir ? L’autre, moi, le paraître, l’altérité… La folie devient vitale, je coupe les arbres, je mets tout au cordeau, je crée un monde en ligne, figé, insensible et, soi disant immortel, je cache mes sentiments, je me retranche et je crois en ma vanité, en ma puissance. La complexité humaine n’a de cesse de nous interpeller, c’est la force de Catherine Pierloz, par son souffle, par son chant, par ses récits. Elle revisite, réécrit et nous surprend. On repart avec, au cœur, une immense capacité à se laisser blesser, interroger, bousculer, par cette proximité si sensible. Après le spectacle, on est accompagné, on a envie de saisir quelque chose d’impossible à retenir, un souffle, une vibration, une poésie intérieure, quelque chose qui a besoin de temps pour se dire, des figures qui inspirent, des pulsions qui animent, des instants qui nourrissent.
Compagnonnage artistique : Emmanuel De Loeul
Avec le soutien de l’Union Régionale des Foyers Ruraux du Poitou-Charentes et de son Pôleculturel régional des arts de la parole et des écritures contemporaines.
Coproducteur : Union Régionale des Foyers Ruraux du Poitou-Charentes