Marquée par un drame personnel, la perte d’un fils, elle a su y puiser une source d’inspiration pour créer son premier spectacle « Faucheuse ».
On raconte dans la mythologie grecque que, lorsque la tête de la monstrueuse Méduse a été coupée par Persée, le magnifique cheval ailé Pégase est sorti de son sang. Cette parabole rappelle un mécanisme inamovible de la vie : d’un drame peut naître quelque chose de flamboyant. Et c’est bien d’un drame qu’est née la conteuse en Sylvie Alexandre.
Elle ne le cache pas, elle a perdu son fils dans un accident de voiture alors qu’il avait 18 ans, comment faire alors pour supporter la tornade de sentiments qui vous bouleverse à ce moment-là ? Sylvie Alexandre a trouvé son fil d’Ariane dans l’écriture de contes lors du Festival de Chiny (Belgique) en 2008 où elle présente un récit sur la mort d’un enfant, elle avoue y avoir mis « un peu de [son] fils dedans ». Elle reconnaît avoir longtemps « envié les conteurs et leur aisance », elle-même craignait de monter sur les planches, il lui a fallu plus de douze ans pour mettre en scène son premier spectacle.
Entre-temps, elle se forme auprès de Michel Hindenoch, de Jean-Jacques Fdida sur la théorie des contes et surtout avec le conteur québécois François Lavallée qui lui apprend à choisir ses mots sur scène, un enseignement qu’elle saura sublimer. Enfin, elle se souvient en souriant du temps passé avec le collectif Le Lampadaire à 2 bosses, un groupe de conteurs qui se produisait partout, toujours accompagné de lampadaires, ça ne s’invente pas. C’est avec eux qu’elle a appris à faire des histoires avec tout ce qu’il y avait autour d’elle, l’observation avant la parole, une des clefs de voûte de son art de conter. Et enfin, après plusieurs tours de contes et une conférence contée sur les récits coquins de La Fontaine, vient l’aboutissement d’un grand morceau de sa vie : elle crée son premier spectacle, Faucheuse, en 2017.
Humanité et sincérité
Seulement, Faucheuse n’est pas qu’un spectacle, c’est une flèche d’acier brûlant qui, lorsqu’elle vous touche, vous laisse une marque à vie. C’est l’histoire d’une terrible gestation, la naissance de la Mort, qui était une femme avant que l’on ne tue son fils. Sylvie Alexandre conte ce récit avec une profondeur de parole que je n’ai jamais trouvée ailleurs. Elle ne reproche rien à la Mort, non, elle cherche à la comprendre, elle compatit avec elle. Mesurez l’humanité qu’il faut pour en arriver là. Sylvie Alexandre n’a pas peur de l’obscurité, elle nage d’une voix douce dans l’océan de la noirceur humaine, mais elle ne traumatise jamais son public. En peu de mots, elle nous fait ressentir cette fascination que l’on peut avoir pour les terres sombres. Car Sylvie Alexandre est une conteuse qui respecte profondément son public, dans ses récits, sa sincérité est une torche de flammes blanches, elle nous éclaire, nous réchauffe. Et qui, aujourd’hui, pourrait avoir cette prétention d’être complètement sincère sur scène ?
Sylvie Alexandre ne joue pas à la conteuse, ne cherche pas à l’être, elle l’est, c’est tout. Alors, oui, je pourrais faire la liste de ses qualités : sa justesse de timbre, son écriture poétique, son sens de l’humour, sa créativité ou son impeccable sens du rythme, mais, en réalité, tout tient à une seule chose : elle nous touche au plus profond de nous. Sylvie Alexandre n’a rien à cacher, elle offre pudiquement ses sentiments et, par là même, nous redonne le droit d’en avoir. Je reviens encore à Gigi Bigot pour qui « le problème d’aujourd’hui, c’est qu’on n’a plus d’espace où être fragile », cet espace, Sylvie Alexandre nous le propose sur un plateau d’argent.
Et, pour demain, cette grande dame du conte rêve de son prochain spectacle consacré à son héroïne de toujours, Virginia Woolf, une autre femme au destin marqué par la mort.